E-commerce : la bonne excuse de Comeos pour déréguler les conditions de travail ?
Après avoir subi ces derniers mois un flot incessant de déclarations politiques précisant que la Belgique était à la traîne en matière d’e-commerce, c’est à présent au tour de Comeos de reprendre la même chanson. A coups de chiffres et de gros titres dans la presse d’aujourd’hui, la Fédération des employeurs du commerce pointe du doigt les faiblesses de la Belgique en matière de travail adapté à l’e-commerce. D’après une récente étude réalisée par leurs soins, la Belgique passerait à côté de 15.000 emplois : principalement ceux créés par les centres logistiques situés près de nos frontières. Comeos met également en cause les horaires de travail, qui seraient inadaptés à la réalité du e-commerce. Le SETCa tient à faire la clarté sur un certain nombre de points et rectifier certaines idées. Le e-commerce se développe bel et bien en Belgique. Le travail de nuit y est bel et bien possible. Et les organisations syndicales sont belles et bien disposées à discuter du développement du e-commerce en Belgique, dans le respect des intérêts des travailleurs.
La Belgique n’est pas un désert en matière d’e-commerce
Dans son analyse, Comeos parle surtout de l’intensification du e-commerce à l’étranger, qu’il considère comme des « occasions manquées » pour le marché belge. A l’entendre, l’e-commerce serait presque inexistant en Belgique. Une conception erronée : le e-commerce est bel et bien actif dans notre pays mais il est moins visible directement car il se situe dans des entreprises que les consommateurs ne considèrent pas comme relevant de « l’e-commerce ». Ainsi, le centre logistique de Nike à Laakdal compte des milliers d’employés qui expédient (également la nuit) des chaussures de sport à des clients jusqu’en Russie ! À Geel, Lego expédie également des jouets à des consommateurs de l’Europe entière. Les ports et aéroports regroupent eux aussi des entreprises logistiques expédiant directement les marchandises aux clients, après une commande par internet. Il s’agit de dizaines de milliers d’emplois.
Depuis plusieurs années, il est également possible de commander en ligne auprès des grandes chaînes de magasins. Elles ont choisi de mettre en place leur activité d’e-commerce soit en propre (comme par exemple Carrefour, Cora ou encore Media Markt), soit en sous-traitant cette activité via des professionnels de la logistique. Certaines enseignes ont également développé des solutions mixtes adaptées. C’est le cas de Colruyt (qui sous-traite sa propre filiale logistique, avec retrait des commandes en magasin) ou encore de Delhaize (qui fait appel à de la sous-traitance externe avec enlèvement dans les magasins). Les solutions sont diverses mais existent depuis de nombreuses années et les exemples ne manquent pas.
D’ailleurs, les grandes chaînes « étrangères » créent aussi de l’emploi chez nous, non seulement dans les services de livraison, mais aussi par le biais des points d’enlèvement et des dépôts. Une chaîne comme Coolblue possède même des points de vente physiques en Belgique.
Le sempiternel refrain des coût salariaux
Dans ses déclarations, Comeos s’attaque (comme de coutume) au coût salarial du e-commerce en Belgique. Trop cher. En décalage avec nos pays voisins. Le différentiel devrait descendre à 10%. Ce qu’ils oublient de préciser, c’est que l’e-commerce dans les pays voisins (principalement aux Pays-Bas) est surtout assuré par des étudiants ayant des salaires particulièrement bas (de l’ordre de 4,29€ l’heure pour un jeune de 18 ans) et soumis à une fiscalité plus favorable que les travailleurs ordinaires. Il faut comparer ce qui est comparable. Pour le SETCa, il n’est pas question de participer à un dumping social où les travailleurs seraient mis en concurrence avec des jobistes.
Le travail de nuit est déjà possible…
Dixit Comeos, l’autre élément essentiel bloquant le développement du e-commerce en Belgique : le manque de flexibilité dans l’organisation du travail de nuit. Ici encore, une fausse idée ! Pour développer le travail de nuit, il est exact qu’il faut généralement, pour ce faire, l’accord des représentants du personnel de tous les syndicats dans l’entreprise (même s’il y a ici aussi des exceptions). Des accords de ce type sont donc signés depuis des années déjà dans toutes sortes de secteurs. Fin 2015 encore, le SETCa signait un accord-cadre pour également ouvrir la porte dans le secteur du commerce, en particulier dans la perspective de l’e-commerce. Il peut être question de « travail de nuit » dans le commerce moyennant un accord des trois organisations syndicales au niveau de l’entreprise. Comeos rêve de pouvoir court-circuiter cette étape et ne soumettre les propositions en matière de travail de nuit qu’à l’approbation d’un seul syndicat. Une manière habile de déréguler plus facilement.
Une demande qui n’est pas à la hauteur des dires de Comeos
Sur le terrain, nous devons constater que les entreprises désireuses d’implémenter du travail de nuit ne se bousculent pas au portillon. Chez Torfs, un accord a été conclu il y a plusieurs mois. Une CCT d’entreprise vient tout juste d’être signée pour le dépôt Van Den Borre de Sint-Pieters-Leeuw. Dans quelques autres grandes chaînes de magasin, (Ikea, Décathlon) des discussions sont en cours.
Qui plus est, les chiffres repris dans l’Etude de Comeos démontrent eux-mêmes que l’engouement pour le travail de nuit ne semble pas aussi pressant que ce que le CEO laisse entendre… Seulement 7% des consommateurs considèrent l’option ‘livraison express’ comme un facteur essentiel de choix du site sur lequel ils achètent. Le pourcentage des consommateurs qui voudraient être livrés 24h/24 et 7 jours/7 (moyennant supplément) ne dépasse, quant à lui, pas les 8%…
Le e-commerce ne doit pas être un instrument de démantèlement social
Ce n’est pas le travail de nuit, le rôle des syndicats ou encore les coûts salariaux qui doivent être dénoncés. Concrètement, le e-commerce se développe et doit continuer de se développer. Il n’existe aucune entrave réelle à sa mise en oeuvre, tout est question de volonté patronale ! Et comme nous l’avons déjà répété à de nombreuses reprises : en tant qu’organisation syndicale, nous sommes tout à fait prêts à entamer des discussions à ce sujet dans toutes les entreprises qui le souhaiteraient. Mais nous n’accepterons pas que le e-commerce soit le bon prétexte pour passer outre la concertation sociale et démanteler à la baisse les conditions de travail. Le SETCa dit oui au développement du e-commerce. Oui pour négocier en la matière mais pas à n’importe quel prix et certainement pas au détriment des travailleurs.
• Myriam Delmée (FR) Vice-Présidente
+32 474 74 44 04
MDelmee@setca-fgtb.be
• Erwin De Deyn (NL) Président
+32 475 27 31 33
EDDeyn@bbtk-abvv.be
• Céline Boogaerts (FR) Service communication
+32 477 95 00 19
CBoogaerts@setca-fgtb.be
• Matthieu Marin (NL) Service communication
+32 498 65 17 65
MMarin@bbtk-abvv.be